Raison ou passion ? La musique occidentale fait face à cette dialectique depuis le début de son histoire. Au-delà des émotions qu’il suscite immanquablement, je veux défendre ici une approche plutôt rationnelle et presque scientifique de l’art musical, tel qu’élaboré dans l’Angleterre de la Renaissance. D’après Boèce (v.480-524), « la science de la musique est beaucoup plus admirable en sa perception par la raison qu’en sa réalisation par l’œuvre et son interprétation, car l’habileté physique obéit comme une servante tandis que la raison gouverne comme une reine ».

Fête dans un parc, miniature d’Isaac Oliver, v.1590

Sans expliquer en détail les sources grecques qu’utilisa Boèce pour son traité De institutione musica, j’aimerais démontrer bien humblement que la musique, construite sur le nombre et les proportions, se déroule comme un langage rationnel, ou un jeu à la fois libre et codifié, dont nous pouvons dire qu’il est universel. Issue du génie humain, elle était perçue par les Anciens comme une science « cosmique », à ranger non loin des mathématiques parmi les sept arts libéraux.

Bien entendu, nous avons choisi des musiques instrumentales, qui donc ne dépendent d’aucun texte, une musica instrumentalis « pure » consistant en diverses danses, variations et constructions polyphoniques abstraites. Signalons l’extrême importance qu’a revêtue l’art des sons en Angleterre sous les Tudors, Henri VIII et la grande Élisabeth Ire ayant été des mélomanes passionnés.

La Cour comptait sous leurs règnes une immense collection d’instruments à cordes et à vent de toutes sortes, que pratiquaient quelque soixante musiciens, joueurs de viole de gambe de tous les formats, saqueboutiers, flûtistes, luthistes, virginalistes, etc., autant d’instruments regroupés, dans la première musique de chambre digne de ce nom, en consorts — full consort s’ils sont tous de la même famille, et broken consort si l’homogénéité sonore est « brisée » par leur diversité.

Enfin, une excursion « contemporaine » nous montrera que cette conception rationaliste exerce encore aujourd’hui une grande fascination…

 

© Francis Colpron, 2024

Le concert The Passion of Reason sera présenté le 28 novembre à 19h30 – Auditorium des Archives Nationales.