L’opéra: une trajectoire dramaturgique
Nous vous proposons les propos de Brigitte Massin sur les opéras de Mozart choisis et agencés par François Filiatrault. Ce texte accompagnera le deuxième concert de la saison 2014-2015 des Boréades de Montréal qui aura lieu le 22 novembre à 19h30 à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours. Retrouvez les détails sur ce concert en vous rendant sur cette page:
[vc_separator type=’transparent’ position=’center’ color= » thickness= » up= » down= »][blockquote text=’Tous les efforts que nous faisions pour parvenir à exprimer le fond même des choses devinrent vains au lendemain de l’apparition de Mozart. – Goethe, novembre 1787′ text_color= » width=’75’ line_height=’undefined’ background_color= » border_color=’#005595′ show_quote_icon=’yes’ quote_icon_color= »]
[dropcaps type=’circle’ color= » background_color=’#005595′ border_color= »]M[/dropcaps]ozart, génie de la musique, la cause est entendue. Reste à définir le génie. Aucune, parmi les œuvres de Mozart, quelle que soit sa destination, son projet, sa dimension, n’échappe à une certaine idée de perfection. Si elles participent toutes du génie mozartien, elles ne sont pas toutes géniales pour autant. Alors en quoi parler de génie? Le terme est recevable lorsqu’une œuvre porte une identité si forte qu’elle ne peut plus désormais être confondue avec une autre, qu’elle est devenue unique. […]
La même attitude peut définir la pratique d’un genre en son entier, dès lors que celui-ci se déroule dans une trajectoire, qui elle-même devient un tout. La trajectoire, et ce qu’elle suppose de nombreuses créations, porte aussi la marque du génie.
C’est le cas chez Mozart, où le genre de l’opéra, et la trajectoire de sa pratique, expriment le génie proprement mozartien. L’opéra chez Mozart est bien frontière. Il y a bien l’opéra tel qu’avant Mozart, et l’opéra après Mozart. Mais c’est lui qui marque, de manière indélébile, le terme de l’opéra dans sa forme antérieure. Qui impose une pratique nouvelle, moderne. […]
Il y a chez Mozart deux genres dans lesquels le compositeur s’inscrit avec évidence comme aboutissement et ouverture, c’est celui de la musique pour un soliste concertant, et tout spécialement le piano, avec l’orchestre et celui de l’opéra. Ce dernier genre est bien entendu celui de l’art lyrique, de l’opéra en sa longue courbe évolutive qui occupe le compositeur pratiquement sa vie durant, de son premier désir exprimé à Londres, dans les années d’enfance, en sa huitième année, à La flûte enchantée au terme de sa vie. De retrouver côte à côte concertos et opéra n’a rien pour étonner. Le concerto repose sur le principe du dialogue entre soliste et orchestre, dialogue qui chez Mozart va s’intérioriser à l’extrême, bien au-delà de ce qu’on peut attendre d’un genre dit « galant ». La mise en œuvre du concerto, déjà dans sa présentation spatiale, comme dans son contenu, suppose une dramaturgie. Soliste et orchestre, voix et orchestre, l’opéra et le concerto entrent en cousinage proche. […]
Dramaturgie donc de part et d’autre qui rejoint une donnée caractérielle de Mozart. Il est, et demeure sa vie durant, un être extrêmement doué pour s’exprimer en dramaturge. […] Les voyages ne prêtent-ils pas à l’éveil de l’imaginaire? C’est toute l’enfance de Mozart qui est ainsi vécue dans des situations constamment changeantes, qui sont autant de dramaturgies. […] Ce jeune baladin du monde occidental s’est formé dans ce théâtre des voyages européens. […] L’opéra sera lui-même jeu du théâtre, jeu du chant (littéralement Singspiel), jeu de la rencontre entre la parole et la musique. Il n’abandonnera jamais le mot, il accordera constamment la même attention au texte qu’il doit traiter, intervenant, décidant et retravaillant l’ouvrage pour qu’il se plie à la nécessité musicale.
Combien d’opéras dans la vie de Mozart? Une vingtaine, compte tenu des œuvres inachevées et de celles qui représentent des substituts d’opéra : action sacrée, sérénade théâtrale, etc. […]
[En 1779], pour la troupe théâtrale que dirige le comédien Böhm et qui est installée un moment à Salzbourg, il songe à un nouveau livret, un Singspiel [jamais représenté de son vivant] : Zaïde, ou la rencontre inopinée dans l’esclavage entre le père, la fille et le fils ! Mozart pense faire ici emploi du mélodrame. […] Sa pensée est alors tout occupée d’opéras allemands, il revendique d’y jouer sa part, se saisit des thèmes à la mode.
C’est alors qu’il reçoit, venant de Bavière, la nouvelle commande d’un opéra pour le carnaval, mais cette fois pour le grand opéra, le seria. Lui qui pensait opéra allemand se trouve rejeté vers l’opéra italien, avec Idoménée. S’il use encore du cadre formel venu du seria, s’il revient à certaines conventions des musiques imitatives (tempêtes, brises légères), il insiste sur la caractérisation des personnages, se bat avec les questions dramaturgiques que pose l’arrivée de la voix de Neptune, cherche par tous les moyens à rendre « modernes » les principes pour lui désuets de l’opéra seria. […]
« Ici commence mon bonheur », dit Mozart en s’établissant à Vienne [en 1781]. [Mais] trois ans durant, il va se battre, chercher où s’exprimer. L’opéra allemand se porte mal, alors il pense revenir à l’opéra buffa italien. […] Toute cette quête douloureuse, angoissante, vers l’opéra introuvable est stoppée net par le nouveau projet : un opéra d’après la comédie de Beaumarchais, Le mariage de Figaro, avec Da Ponte comme librettiste. [Puis] c’est Prague, et non Vienne, qui commande à Mozart un nouvel opéra. Le thème est choisi par Mozart et son librettiste Da Ponte, et ce sera Don Giovanni. […] Une fois encore [en 1790], il forme équipe avec Lorenzo Da Ponte, ensemble ils écrivent et composent une comédie légère sur l’infidélité des femmes, Cosi fan tutte. Ce sera leur dernier travail en commun. Sous le couvert de la comédie, le tragique s’y fait jour. Qui est qui? Qui aime qui? C’est, mise en gloire, la grave question de l’identité toujours posée par la dramaturgie mozartienne.
Il travaille déjà sur La flûte enchantée avec Schikaneder, sur cet opéra féerique en allemand. Il y est aux prises avec un opéra de forme très libre, comme il est concevable pour un Singspiel. C’est alors qu’il reçoit la commande d’un opéra « officiel » pour le couronnement de l’empereur Léopold II comme roi de Bohême, d’un opéra noble, seria, sur le thème de la clémence, La clémence de Titus. Mozart entend faire de cette ancienne forme un « opéra nouveau ». Il y introduit nombre d’ensembles, non prévus dans le cadre du seria, auquel il ne peut plus se plier.
D’avoir à travailler sur La flûte enchantée, de s’y sentir libre, de retrouver l’allemand peut-être, Mozart semble connaître une vitalité nouvelle. La flûte enchantée, cocasse, baroque, qui se contredit dans son discours, qui raconte plusieurs histoires en même temps, est finie pour lui le 28 septembre [1791]. […]
Ici s’arrête, avec la vie de Mozart, la trajectoire de l’opéra mozartien, double trajectoire : celle de la musique, celle de la dramaturge.
Brigite Massin
Guide des opéras de Mozart, 1991
Propos choisis et agencés par François Filiatrault
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Les Boréades de Montréal et la voix
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Karina Gauvin interprète la Lamentation de Didon tiré de Dido & Aeneas, Z 626 d’Henry Purcell avec les Boréades de Montréal sous la direction de Francis Colpron. Extrait du CD Purcell.
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