Improvisation au Café
En tant que Cantor à l’école Saint-Thomas de Leipzig, Jean-Sébastien Bach ne menait pas une vie facile. Responsable de toute la musique pour les principales églises de la ville, il devait composer de nouvelles cantates chaque semaine, engager des musiciens et les faire répéter afin qu’ils soient en mesure de jouer ses cantates (ce qui pouvait s’avérer difficile à cause du manque de musiciens « pigistes »), et il devait enseigner aux garçons de l’école Saint-Thomas tous les jours.
Une telle charge de travail aurait sans doute été agréablement stimulante pour un homme aussi génial que Bach, si son environnement de travail n’avait pas été aussi hostile. À partir de 1720, la relation entre Bach et le conseil de Ville de Leipzig était une litanie de disputes et de critiques. Plusieurs années plus tard, alors qu’on lui interdit de jouer une Passion pour le Vendredi saint, Bach note amèrement que « cela aurait été un fardeau de toute façon ».
Sur cette trame de conflits, il n’est pas étonnant que Bach prît plaisir à se détendre dans l’atmosphère enjouée du café Zimmerman, sorte de Starbucks du Leipzig du 18e siècle. Gottfried Zimmerman, un entrepreneur de la classe moyenne, organisait des concerts chaque semaine dans son café sur la Catherstrasse. Durant l’été, les concerts se déroulaient à l’extérieur, dans le « jardin du café ». L’attraction principale de ces concerts était le plus souvent le Collegium Musicum, l’orchestre non officiel des étudiants de l’Université de Leipzig. Bach devint leur directeur en 1729, et rapidement, il concentra toute son énergie compositrice sur l’orchestre, en dépit de son travail pour l’église. Peut-être le Collegium était-il tout simplement plus amusant que ses lourdes responsabilités pour cette dernière? En tout cas, il se mit à la tâche et créa des concertos qui pouvaient être joués par ses fils, ses amis du Collegium Musicum et lui-même.
La plupart des concertos de Bach avaient déjà été composés durant son emploi précédent, quand il était Capellmeister de l’orchestre du Prince de Cöthen. À Cöthen, il dirigeait un excellent ensemble de 8 à 10 musiciens, la plupart d’entre eux étant de véritables virtuoses. En 1729, il commença donc à recycler et transcrire ses concertos afin qu’ils puissent être joués par les musiciens disponibles à Leipzig.
Le Collegium Musicum avait été fondé quelques années plus tôt par un jeune et populaire étudiant en droit nommé G. P. Telemann. Mais Telemann était passé aux choses plus sérieuses depuis : il était devenu directeur musical pour la riche ville de Hambourg. (Il avait aussi été choisi à la place de Bach pour être directeur musical à Leipzig, mais il a refusé l’offre et le poste fut offert à Bach, après avoir été également refusé par Graupner et Fasch.) Bach et Telemann se seraient rencontrés alors qu’ils n’étaient âgés que d’une vingtaine d’années, et malgré la compétition inévitable qu’il y avait entre eux, ils étaient toutefois de bons amis. En 1714, Telemann devint le parrain du fils de Bach, Carl Phillip Emmanuel. Bach reconnaissait la valeur de Telemann en étudiant, en transcrivant et en jouant sa musique avec le Collegium Musicum chez Zimmerman.
Alors que Telemann était de quatre ans l’aîné, il était sans aucun doute le plus en vogue et le plus moderne des deux compositeurs. Son sens de l’humour musical, sa légèreté et son utilisation d’éléments folkloriques le rendaient très attrayant aux yeux du public. De plus, le fait que la musique de Telemann, tout en étant moins lourde, était aussi plus facile à jouer que celle de Bach, a très probablement contribué à sa popularité grandissante. Alors que seuls les professionnels dévoués pouvaient maîtriser les travaux de Bach, beaucoup d’amateurs talentueux pouvaient jouer du Telemann pour le plaisir. En effet, Telemann, qui reçut quatre fois plus d’espace dans les encyclopédies de musique allemande du 18e siècle que Bach, était vanté pour sa faculté à ne pas composer comme Bach.
© Jeannette Sorrell, 2016. Traduction Léonore Colpron