De la cour au concert
Chers amis mélomanes,
Une autre magnifique saison s’annonce… Comme toujours, les Boréades puiseront la matière de quatre concerts variés dans le très vaste et très riche répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles. Démonstration ludique de l’amour qu’ont toujours porté l’ensemble et ses membres aux plaisirs de la table, des appellations culinaires désignent dorénavant les différents types de concerts.
À tout seigneur tout honneur, notre concert Banquet sera consacré à quelques cantates du grand Bach avec le Chœur Saint-Laurent à la salle Bourgie. Notre concert Mignardises aura la saveur fruitée du hautbois de l’extraordinaire Alfredo Bernardini, venu du vieux continent expressément pour nous, tandis que notre Minestrone montrera la désinvolte virtuosité du premier Baroque instrumental italien. Enfin, un concert Strudel présente ce soir quelques suites d’orchestre et concertos tels que Bach et Telemann les donnaient à entendre aux mélomanes de Leipzig et de Hambourg.
Je vous souhaite une belle saison en notre compagnie !
Francis Colpron
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[blockquote text= »En moins de vingt-cinq ans, le bourgeois allemand aura pris conscience, par des œuvres de fond, non seulement de sa vie, mais de sa philosophie musicale. Il a déblayé son jardin. Il a pris ses positions essentielles. Il a fait entrer sa musique, par-delà la pratique cultuelle ou familiale, dans les grandes lignes de sa vie spirituelle. Dans la philosophie allemande de la vie qui s’élabore, il a donné à la musique sa place exacte : au premier plan.
Marcel Beaufils
Comment l’Allemagne est devenue musicienne (1942), 1983.
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Tant sur les plans social et politique que sur celui des arts, chaque époque effectue des transformations qui lui sont propres. Dans le domaine musical, le XVIIe siècle voit l’émancipation de la musique instrumentale et la création de formes définies, presque définitives, la suite par les Français, la sonate et le concerto par les Italiens. Le siècle suivant connaît la montée du sentiment national allemand, en premier lieu dans l’art des sons, et l’établissement d’une nouvelle institution sociale, le concert public. Les genres raffinés développés dans les musiques vocales et instrumentales étaient le plus souvent jusque-là l’apanage et la jouissance des classes nobles ; les suites, sonates et concertos pour divers instruments enrichissaient la vie des cours, car seules les princes pouvaient entretenir les musiciens nécessaires à leurs plaisirs et à l’affirmation de leur grandeur.
La montée de la bourgeoisie, son enrichissement rapide et les nouveau temps libres dont elle dispose amorcent dès la fin du XVIIe siècle une nouvelle classe de mélomanes, qui voudront goûter la musique pour elle-même, en dehors de toute circonstance civile ou religieuse. On assiste alors à une véritable démocratisation de la musique, et ce par la création d’institutions et de lieux dévolus aux concerts publics – parallèlement à l’ouverture de maisons d’opéra. Les orchestres et les musiciens se rassemblent afin de jouer pour les mélomanes, moyennant un prix d’entrée, diverses musiques que les compositeurs réservaient jusque-là aux divertissements des cours princières. The Parley of Instruments à Londres, le Concert spirituel des Tuileries à Paris et les nombreux Collegia musica des villes allemandes sont des exemples prestigieux et significatifs de cette évolution, qui présidera principalement à un formidable développement de la musique instrumentale.
En 1702, peu après son arrivée à Leipzig, Georg Philipp Telemann, étudiant en droit à l’université, fonde avec quelques condisciples un Collegium musicum, dont les interventions lors des cérémonies académiques et les nombreuses apparitions publiques remportent immédiatement un grand succès. Jusqu’à son départ pour Sorau trois ans plus tard, Telemann composera des cantates de circonstances et de nombreuses suites pour orchestre, précédées de cette ouverture issue de l’opéra français et si populaire en pays germaniques, autant d’œuvres chantées et jouées par les quelque quarante musiciens et chanteurs dont il pouvait disposer. Telemann travaillera par la suite à la Cour de Sorau, puis à celle d’Eisenach et, heureux de ne plus dépendre de l’aristocratie, pour la ville de Francfort, où il organisera les concerts de la Gesellschaft Frauenstein, et enfin pour celle de Hambourg, où il s’établira définitivement en 1721, y déployant comme partout une infatigable activité.
Lorsqu’en 1729, Johann Sebastian Bach prend la tête du Collegium musicum fondé par Telemann – depuis 1723, Leipzig en comptait un autre, placé sous la direction de Johann Gottlieb Görner –, il emploiera, comme ses prédécesseurs, des musiciens de l’université, ses propres élèves, dont ses fils, et des amateurs doués. Les concerts ont lieu au café tenu par Gottfried Zimmermann, soit dans une salle de l’établissement, soit dans ses jardins hors les murs durant l’été – ce café, sis au 14 Katharinenstrasse et devenu un des hauts lieux de la musique allemande du XVIIIe siècle, a été détruit en 1943 lors d’un bombardement. En plus de faire exécuter sonates, concertos et suites des compositeurs qu’il estime – Telemann, Fasch, Graupner –, Bach reprend les œuvres instrumentales qu’il avait composées pour le service du prince Leopold à Coethen, comme les Concertos brandebourgeois, et il écrit, en les transcrivant à partir de compositions antérieures, ses concertos pour un ou plusieurs clavecins – prévus à l’origine pour violon ou hautbois soliste(s). C’est en effet dans le cadre du concert public que le magnifique virtuose qu’est Bach crée le concerto pour clavier, bien sûr sans savoir qu’il met ainsi au monde l’un des genres les plus importants et les plus riches de l’histoire de la musique. Ses fils se l’approprieront, le marquant de leurs fortes personnalités, pour le mener au seuil du Classicisme, au même moment où le clavecin cède lentement la place au pianoforte.
Par ces institutions de concerts publics, les formes savantes sont offertes à une plus grande partie de la population – on dirait aujourd’hui la classe moyenne. Mais il ne faut pas oublier que ces formes viennent du peuple et que la musique des cours n’est elle-même pas si loin de ses origines. Les suites sont constituées de danses issues des provinces françaises, comme la bourrée et le menuet, ou d’Angleterre, comme la gigue, et, tandis que certaines mélodies de Vivaldi se rapprochent du chant des gondoliers vénitiens, Telemann adapte avec un rare bonheur les rythmes venus des campagnes polonaises. Si, dans les sonates et concertos italiens, les danses ne sont pas toujours nommées, elles sont souvent présentes : tel Allegro cache une courante, tel Presto une gigue et tel Largo une sicilienne. On ne les danse plus mais on les reconnaît sous les déguisements harmoniques et formels dont les parent les compositeurs.
Sans doute le plus prestigieux d’Allemagne, le Collegium musicum de Leipzig est l’ancêtre direct des fameux Concerts du Gewandhaus, fondés en 1781. Mais, même dans les plus modestes de ces nombreuses institutions, même dans celles qui n’eurent pas de descendance, les formes instrumentales, qui puisent leurs racines dans les peuples de l’Europe, avant d’être transformées, stylisées et enrichies par les compositeurs dans un brassage incessant pour le plaisir du prince, sont retournées aux populations par le moyen du concert public. Cela rappelle qu’il n’y avait pas à l’époque la distinction, si marquée de nos jours, entre les musiques populaires et les musiques savantes, et montre que les productions du génie humain appartiennent à tous.
© François Filiatrault, 2018
LES BORÉADES INTERPRÈTENT LES SUITES ET CONCERTOS DE TELEMANN
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